La région de
Saint-Hyacinthe,
berceau du
zonage agricole

Au moment de l’entrée en vigueur de la Loi sur la protection du territoire  agricole, le 9 novembre 1978, neuf (9) municipalités de la région de Saint-Hyacinthe s’étaient déjà dotées d’un règlement de zonage agricole. Le ministre Jean Garon est venu à Saint-Hyacinthe pour prendre connaissance de cette initiative et pour entendre, notamment, l’opinion du milieu agricole.

Dès 1973, les municipalités rurales de la région de Saint-Hyacinthe s’inquiétaient de l’urbanisation croissante sur leur territoire : en outre d’un développement en chapelet le long des chemins de rangs existants, elles voyaient apparaître, ici et là, des « villages-champignons » créés à même certaines fermes. Ces municipalités n’étaient pas équipées pour faire face aux besoins d’une population urbaine où la densité des résidences exige des services d’égoût, d’aqueduc, de voirie, de loisirs et, à l’occasion, le règlement de problèmes de voisinage avec le milieu agricole. Un des moyens envisagés pour prévenir les difficultés qui menaçaient de prendre des proportions déraisonnables a été de se doter d’un règlement de zonage agricole.

Entre 1973 et 1978, neuf (9) municipalités avaient adopté un règlement visant à contrôler le développement en milieu agricole et deux autres règlements étaient sur le point d’entrer en vigueur.

Le ministre de l’agriculture Jean Garon, qui envisageait la présentation d’une loi sur la protection du territoire agricole, avait eu vent de cette initiative qui avait cours dans la région maskoutaine. Le 12 septembre 1978, il venait donc à Saint-Hyacinthe afin de prendre connaissance de ce mouvement régional et entendre les arguments des municipalités, de l’U.P.A., et d’autres personnes ou organismes intéressés. Parmi les interventions qui avaient retenu l’attention du ministre à cette occasion, il a lieu de rappeler le mémoire relatant l’expérience des municipalités de la région dont voici quelques extraits :

Historique
« En 1973, la municipalité de la Paroisse de Sainte-Rosalie (Bagot) décidait de se doter d’un règlement de zonage dont le but premier était de protéger les terres agricoles de la municipalité. Le règlement visait également l’élimination de tout développement domiciliaire, la municipalité n’étant pas équipée pour y faire face ».

Puis le mémoire faisait état du processus suivi par la municipalité en vue de l’adoption du règlement en insistant sur la tenue d’une assemblée publique où toute la population avait été invitée à venir prendre connaissance du projet de règlement, de la carte du zonage projeté, entendre les explications du conseil municipal et faire connaître leurs observations. Jusque là, l’adoption d’un règlement était la responsabilité du conseil municipal uniquement; pour faire entendre son opinion, la population devait requérir la tenue d’un référendum. L’assemblée publique était donc une innovation et, six ans plus tard, elle devenait obligatoire dans la procédure d’adoption d’un règlement de zonage avec l’insertion de l’article 90 dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme entrée en vigueur le 21 novembre 1979.

Le même processus a été suivi par les municipalités qui ont adopté des règlements semblables entre 1973 et 1978. Ce sont Saint-Thomas d’Aquin, La Présentation, Notre-Dame-de-Saint-Hyacinthe, Saint-Bernard, Sainte-Madeleine, Saint-Barnabé, Saint-Jude et Saint-Hugues.

D’autres règlements semblables étaient en préparation pour deux autres municipalités, soit Saint-Damase et Saint-Guillaume.

Puis le mémoire continuait dans les termes suivants :



Un besoin
« La réflexion entreprise par les cultivateurs de la Paroisse de Sainte-Rosalie, en 1973, et qui s’est répétée dans d’autres municipalités par la suite, était a peu près la suivante :

1. Les exploitations agricoles d’aujourd’hui atteignent des valeurs dépassant parfois le demi-million de dollars en propriétés foncières et en équipements.
2. La modernisation de l’outillage exige des superficies de plus en plus en grandes pour justifier l’importance des investissements.
3. Les coûts d’agrandissement des fermes ne doivent pas être influencés par des facteurs étrangers comme la spéculation foncière.
4. Les cultivateurs en place doivent conserver le contrôle de l’administration de leur localité afin de protéger le territoire qu’ils occupent et qu’ils exploitent. […]

Les moyens d’action
Parmi les moyens d’action inscrits dans les règlements adoptés par les municipalités jusqu’à ce jour, en vue de rencontrer les problèmes ci-haut mentionnés, on trouve des dispositions qui visent à empêcher l’ouverture de tout nouveau chemin ou rue pouvant donner accès à tout lotissement et ce sur tout le territoire de la municipalité, limiter le nombre de résidents non-cultivateurs, éloigner les résidences des bâtiments de la ferme,  contrôler et réglementer l’installation des établissements d’élevage et notamment les porcheries et les poulaillers de grande taille, empêcher le décapage des terres, empêcher l’installation de dépotoirs et de cimetières d’autos, empêcher la construction trop près des cours d’eau, contrôler l’installation de maisons mobiles, contrôler l’établissement de terrains de camping ».

Mémoire évoquant l’expérience des municipalité
Le mémoire relatant l’expérience des municipalités de la région maskoutaine soulignait que les agriculteurs étaient bien conscients des coûts additionnels d’administration qu’entraînait avec elle l’urbanisation non souhaitée de leur milieu.

« Les municipalités qui ont accepté ou toléré l’installation d’agglomérations résidentielles sur leur territoire savent que les problèmes de voisinage exigent graduellement des services semblables à ceux de la ville, ce dont une administration municipale en milieu rural n’a pas besoin.

Les développements résidentiels créent un autre type d’inconvénients aux cultivateurs voisins : il leur faut maintenant assumer seuls le coût du creusage des fossés mitoyens, de l’entretien des clôtures, quant ce n’est pas subir des dommages causés par divers objets oubliés ou jetés dans leur champ et qui viennent enrayer la machinerie au temps de la moisson.

L’expérience vécue localement nous indique que la municipalité bien renseignée constitue un intervenant rapide et efficace en la matière. Peut-on expliquer cette expérience heureuse par la valeur importante des terres de la région? Peut-être; mais si la région la plus importante sur le plan agricole ne sentait pas le besoin de se protéger elle-même, il serait sûrement difficile d’obtenir plus de succès par une intervention extérieure.

Il n’en demeure pas moins que la municipalité a besoin d’assistance sur le plan technique pour mener à  bien cette opération. Et l’idée d’une régie ou commission gouvernementale paraîtrait l’outil pratique. »

Autres mémoires présentés au ministre Jean Garon
Sous la plume des journalistes Pierre Bornais et Gilles Saint-Amour, Le Courrier de Saint-Hyacinthe rapporte, dans son édition du 13 septembre 1978, que le document de l’Union régionale  des caisses de Saint-Hyacinthe souligne, notamment, qu’une loi sur le zonage agricole s’impose et c’est le gouvernement du Québec qui doit être le maître-d’œuvre des mesures visant à mettre sur pied une politique de protection des terres arables. Ses principales recommandations ont trait à l’empêchement des développements domiciliaires en milieu agricole et au morcellement des terres qui doit être évité. »

La même source rapporte dans l’édition du 20 septembre 1978 que l’Union des producteurs agricoles de Saint-Hyacinthe avait présenté un mémoire bien détaillé sur lequel les responsables travaillaient depuis quatre années. « Selon les auteurs du mémoire, il faut protéger toutes les terres arables, toute terre cultivable qui n’est pas construite, réglementer sévèrement la construction d’habitations ou de bâtisses en territoire agricole pour mettre un terme à l’urbanisation […] . Puis les journalistes continuent en rappelant l’intervention de la Corporation de promotion industrielle et la Ville de Saint-Hyacinthe qui, tout en reconnaissant la nécessité de protéger les terres agricoles, ne voudraient pas voir compromettre le travail accompli depuis 8 ans dans le secteur du développement industriel. Ainsi, ils demandent de procéder par étapes, en prévoyant une zone supplémentaire pouvant suffire à la croissance normale pour deux générations. Ils demandent donc de prévoir une bande de terrain de deux kilomètres des deux côtés de la Trans-canadienne pour être destinées à des fins industrielles, à l’intérieur des limites actuelles et projetées de la ville. »

Le 9 novembre 1978, le projet de loi 90 entre en vigueur
À peine deux mois après la séance de consultation à Saint-Hyacinthe, soit le 9 novembre 1978, le ministre Jean Garon présentait son projet de loi 90 sur la protection du territoire agricole québécois. Étonnamment, la loi prenait effet le jour même gelant ainsi tout lotissement, toute construction et toute transaction pour des fins autres que l’agriculture sur 85% des terres agricoles de chaque côté du fleuve Saint-Laurent entre Montmagny et la frontière américaine..

Dans les heures qui suivirent, les administrateurs des 614 municipalités touchées par la loi recevaient une carte détaillée indiquant, dans chaque cas, les parties de territoires désignées provisoirement pour fins de contrôle. Dans les six mois suivants, chaque municipalité était appelée à s’entendre avec la Commission de protection du territoire agricole pour délimiter la zone agricole permanente sur son territoire.

On connaît la suite. La Loi sur la protection du territoire agricole a été sanctionnée le 22 décembre 1978. Diverses réactions favorables et défavorables se sont fait entendre au cours des années qui ont suivi. La loi a subi plusieurs amendements, mais elle a été maintenue en vigueur depuis 30 ans. Et c’est la région de Saint-Hyacinthe qui en aura été le berceau.

Un article rédigé par Grégoire Girard, publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 3 et 10 septembre 2009.

Photo
Le ministre Jean Garon en visite à Saint-Hyacinthe.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH380.