S’il est un lieu de rassemblement riche en histoire au centre-ville de Saint-Hyacinthe, c’est bien le parc Dessaulles. Très fréquenté en été lors des Beaux Mardis de Casimir, il ne faut pas oublier qu’en hiver, on y aménage un anneau de glace depuis quelques années déjà.
Si vous y allez en début de soirée, avant le couvre-feu, tout un spectacle s’offre à vous : des milliers de petites lumières, installées un peu partout dans les arbres, créent une atmosphère de gaieté. Alors que les plus sportifs s’élancent avec vigueur, les amoureux glissent langoureusement sur la glace. Cette ambiance chaleureuse n’est pas sans rappeler que le patinage est une activité physique qui est pratiquée depuis fort longtemps à Saint-Hyacinthe. À une certaine époque, dans la société maskoutaine d’autrefois, les adeptes du patin participent à des mascarades, une activité fort populaire.
On aménage des « patinoirs »
Si on atteste l’existence de patineurs au temps de la Nouvelle-France, le patinage ne devient un véritable divertissement qu’au début du XIXe siècle. À de nombreuses reprises, la présence des patineurs sur les surfaces glacées des étendues d’eau se manifeste par des tragédies et des noyades qui sont rapportées par les journaux. Malgré les recommandations d’usage, des accidents surviennent encore à la fin de l’année 1899. Par exemple, à Saint-Hyacinthe au début du mois de décembre, deux jeunes hommes du nom de Wingender et Laporte patinent près du pont de la Société (pont T.-D. Bouchard aujourd’hui) lorsque la glace cède sous leur poids. Armand Lanctôt se porte à leur secours à l’aide d’une échelle et réussit à les tirer d’impasse. Le rédacteur du journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe, dans l’édition du 14 décembre 1899, fait un appel à la prudence : « Les amateurs du patin feront bien de ne pas s’aventurer trop tôt sur la glace, à cette saison de l’année. Le dénouement heureux de ce dernier accident ne se produit pas toujours. »
Afin de remédier aux dangers de la sorte, on aménage des espaces réservés au patinage sur la terre ferme. Ces patinoirs (au masculin), comme on les appelait à l’époque, peuvent être recouverts ou non-recouverts selon le cas. Avec l’aménagement de patinoirs sécuritaires, on adopte une nouvelle activité sociale en présentant des bals masqués sur glace. C’est l’époque des mascarades !
La première mascarade maskoutaine
En janvier 1877, la Compagnie du Rond à Patiner de St.Hyacinthe érige un bâtiment. Éclairée au gaz et mesurant cent pieds par cinquante, cette bâtisse est située sur les terrains de la Corporation municipale en face du Palais de Justice. Les membres du Club des Patineurs inaugurent l’endroit par une mascarade. Tous costumés, cinq dames et 28 messieurs sillonnent la glace au son de l’orchestre des « Fusiliers Royaux ». Le rédacteur du journal L’Union souligne l’événement avec justesse : « Cet amusement à peu près inconnu à St.Hyacinthe jusqu’ici, mérite à tous égards d’y être permanemment implanté… »
Une tradition bien établie
Au fil des ans, le souhait manifesté par le rédacteur du journal L’Union se réalise. En effet, pendant plusieurs décennies, des mascarades se déroulent sur les patinoires aménagées à différents endroits de la ville. Dans nos recherches sur la pratique d'activités sportives à Saint-Hyacinthe, nous avons recensé, dans les journaux de l’époque, de nombreuses mascarades s’échelonnant de 1877 jusqu’à la fin des années 1930. Certaines années, les promoteurs organisent même de deux à trois mascarades tant ce type de divertissement est apprécié.
Dès les premières manifestations, les mascarades sont populaires. Si le nombre de participants semble assez restreint au début, il est important de noter une hausse de la popularité de l’événement. En janvier 1913, un article du journal Le Clairon indique que plus de deux cents « costumés » défilent dans la grande parade exécutée sur la glace de la patinoire Yamaska. En plus des patineurs, plus de mille personnes assistent à la mascarade. L’atmosphère est à la fête !
Il va sans dire que la mascarade est une source d’amusement pour la plupart des spectateurs. Afin de bien saisir l’importance de l’événement, nous devons réaliser qu’à une certaine époque, les moyens de communication n’étaient pas omniprésents comme nous les connaissons aujourd’hui. Pour le citoyen qui n’avait qu’une conscience littéraire ou journalistique du monde extérieur, la vue de gens costumés en suffragette, amazone, roi, marchand de guenilles, etc. sollicite vivement l’imaginaire.
La grande fête
Traditionnellement, les mascarades se tiennent sur une patinoire et non sur la rivière. Les patineurs costumés attendent sagement que débute le défilé, hors de la vue des spectateurs. Puis, au son de la musique de la Société Philharmonique, s’ébranle la parade qui glisse lentement sur la surface glacée. Quelques juges prennent des notes et les participants qui connaissent le plus de succès sont dignement récompensés pour leurs efforts. Après la parade, place au patin libre, pour la plus grande joie de tous.
Venez vous amuser !
C’est ainsi qu’aujourd’hui, l’aménagement d’un anneau de glace au Parc Dessaulles rappelle à notre mémoire la belle époque des mascarades. Bien que les patineurs ne soient pas costumés comme autrefois, ils éprouvent certainement la grande joie qu’apporte le plein air… Lorsque la Covid-19 sera chose du passé, je lance l’idée à la SDC centre-ville de Saint-Hyacinthe d’ajouter une mascarade au parc Dessaulles à son événement de Féérie hivernale. Pourquoi une mascarade ? Parce que cette pratique aujourd’hui disparue fait partie de nos racines et de notre culture hivernale!
Photos:
Une couple de patineurs. Journal Le Soleil, 15 décembre 1900, p. 9.
Des jeunes gens prêts pour participer à une mascarade prennent la pose devant B.J. Hébert, photographe. Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH085 Studio B.J. Hébert, photographe, année inconnue.
Paul Foisy, janvier 2021