Le patinoir Charpentier 1882-1892

Lorsque l’on a construit à la fin des année 1930, le Stade Municipal (L.-P. Gaucher), des organismes comme la Chambre de Commerce et l’Auto Club de Saint-Hyacinthe, de même que de nombreux citoyens étaient d’avis qu’il serait plus avantageux que son implantation se fasse dans notre vieux centre-ville. Il en surprendra probablement plusieurs que cette démarche avait déjà eu un antécédent.

En effet, en avril 1892 l’on procède à la démolition d’une bâtisse en bois connue à l’époque comme étant la Patinoire Charpentier — construite en 1877, dans le quadrilatère formé par les rues Mondor, Saint-Antoine, Duclos et Sainte-Marguerite (Marguerite-Bourgeois) — elle occupait une partie du terrain de stationnement municipal actuel.

Au moment de sa construction, ce bâtiment était connu comme étant le Muséum Lacasse. En 1886, il fut vendu à un imprésario montréalais du nom de R. P. Valiquet qui opérait de concert avec ses deux frères, John et Rémi, des lieux d’amusement, semblables à Montréal, — coin des rues Saint-Dominique et Sainte-Catherine — de même qu’à Lévis.

Une autre transaction, celle-là en octobre 1888, fit passer la patinoire entre les mains du tabaconiste Adélard Charpentier, dépositaire de journaux, revues et aussi vendeur de primeurs. Ce monsieur avait sa place d’affaires, dans notre ville, à l’angle des rues Cascades et Saint-Dominique. La Société Philharmonique logea à cet endroit pendant plusieurs années. Des réparations faites à cet immeuble il y a quelques années firent disparaître la galerie à l’étage et on y ajouta quelques colonnes en façade.

Il ne me fut pas possible de savoir avec précision les dimensions de la Patinoire Charpentier, mais au moment de la démolition, en avril 1892, Le Courrier parle d’une “bâtisse immense”. Les activités qui s’y déroulaient et les événements qui y prenaient place laissent voir qu’en effet ce bâtiment était de dimensions imposantes.

Lorsqu’arriva à Saint-Hyacinthe la nouvelle de la pendaison de Louis Riel, le 16 novembre 1885, une foule considérable s’y rassembla pour protester contre le Gouvernement de Sir John A. MacDonald.

Des assemblées politiques s’y tenaient. Une, en décembre 1891, avait attiré plus de 2 000 personnes pour entendre Honoré Mercier. Une autre, le 28 février de la même année, avait réuni plus de 3000 personnes selon Le Courrier. Cette fois, il s’agissait d’un ralliement en faveur de l’honorable Michel-Esdras Bernier, député du comté et Ministre du Revenu de l’Intérieur dans le Cabinet Laurier.

Des troupes de vaudeville venant de France et des États-Unis, de même que des sections des cirques King Burke et Barnum ans Baily s’y produisaient régulièrement.

Annuellement, il s'y organisait aussi de quatre à cinq mascarades. Le 6 mars 1886, Le Courrier fait le compte-rendu suivant de l’une d’elles. « La mascarade de jeudi soir a été une brillante affaire. Les galeries étaient remplies et sur la glace, patineurs et patineuses se disputaient la palme du triomphe par l’originalité de leurs travestissements — musique de la Philharmonique, jeux de lumières, etc… etc… »

Dans une page publicitaire, paraissant dans le Guide de Saint-Hyacinthe de 1887-88, l’imprésario Valiquet vante la bonne qualité des spectacles qu’il offre au public et la tenue irréprochable de son établissement dans les termes suivants « Respectable et acceptable par la presse et le clergé. Avec l’expérience que j’ai acquise, je m’adresse à la bonne société qui comprendra de suite les avantages d’un établissement de ce genre, où tous, vieux et jeunes, peuvent jouir des exercices du patin à roulettes dans tout son enchantement. Je désire assurer les personnes qui patroniseront mon Patinoir (sic) qu’elles se trouveront dans un lieu choisi pour une récréation innocente tout en pouvant pratiquer un exercice  recommandable pour la santé ».

En fait, il ne semble pas que chez nous nous ayons eu a redire quant à la tenue de cette patinoire, si ce n’est d’une représentation par une troupe parisienne, d’une pièce jugée grivoise et trop osée.

À Montréal, cependant, plusieurs curés de paroisses dénonçaient les clubs de raquetteurs, les glissoires et les ronds à patiner comme étant des plaisirs immoraux. Les parents qui permettaient à leurs enfants de fréquenter ces lieux étaient vigoureusement réprimandés.

Une incursion même sommaire dans notre vieux centre-ville d’il y a cent ans, nous laisse voir des changements et des mutations considérables à venir non seulement dans le paysage urbain de notre ville, mais aussi dans tout le tissu humain de notre société.

Cet article de Raoul Bergeron fut publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe, le 12 janvier 1993.

Illustration: 
Publicité de R. P. Valiquette dans le Guide de Saint-Hyacinthe 1887. Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH478.