Le Grand Hôtel

Il était une fois le Grand Hôtel

Situé au cœur même de Saint-Hyacinthe, face à l’Hôtel de ville, près du Parc Dessaulles, du Palais de Justice, non loin de la gare, et à peu de distance de la rue Cascades et de la Place du Marché, le Grand Hôtel fut, pendant près de 77 ans un établissement on ne peut plus maskoutain. C’était l’endroit choisi de prédilection pour célébrer toutes sortes d’événements sociaux : soupers intimes, réceptions de mariages, banquets, dîners de Noël ou du Jour de l’An, où les gens se coudoyaient et échangeaient des vœux, dans une atmosphère quasi familiale.

En entrant dans le grand hall, l’on se sentait parfaitement chez soi. Quand j’étais jeune, nous y allions parfois que pour y acheter des cigarettes ou utiliser le téléphone public, mais nous y étions toujours accueillis amicalement par le gérant, le vieux monsieur Michel Dion, qui en fut l’âme dirigeante pendant plus d’un quart de siècle.

La bonne réputation de cette hôtellerie s’étendait jusqu’à Québec et, je me souviens que, quand j’étais fonctionnaire au ministère de l’Agriculture et qu’un agronome, un vétérinaire ou quel qu’autre officier du gouvernement partait pour Saint-Hyacinthe, on nous disait toujours : « S’il arrivait quelque chose, vous pourrez m’atteindre au Grand Hôtel ». Ce qui ne laissait pas de flatter ma vanité de Maskoutain.

Et pour ma part, j’ai souvenance, avec attendrissement que c’est là, au Grand Hôtel, que mes amis m’offrirent un souper d’adieux, quand je quittai la ville pour aller habiter Québec en 1930. C’est encore là, que les gens de l’École de Médecine vétérinaire se réunirent, le 30 septembre 1955, pour fêter mes 25 ans de service à l’emploi de ministère de l’agriculture du Québec.

Sa fondation remontait à plus de trois quarts de siècle, puisque la première assembles des actionnaires de la « Compagnie du Grand Hôtel » eut lieu le 4 avril 1895, alors que messieurs Louis Côté, ancien maire, Eusèbe Morin, le Vanderbilt maskoutain, (cf. Mgr Choquette, Histoire de Saint-Hyacinthe p. 422), Alfred Thibodeau, Alphonse Denis et J.-C Désautels en furent élus directeurs, et que le 4 mai suivant , l’on chargea monsieur Théo Daoust, architecte de Montréal, d’établir les plans nécessaires à la construction d’une bâtisse qui sera érigée sur l’emplacement de l’habitation dudit Eusèbe Morin, angle Girouard et Mondor, face à l’hôtel Yamaska.

Le contrat pour l’exécution des travaux de construction de cet édifice fut accordé à monsieur L.-P. Morin de cette ville. Mis un sous-contrat fut attribué à monsieur H. Morin, ferblantier-couvreur, pour l’installation de la couverture et des autres travaux de tôle galvanisée. Ceux du chauffage, de l’éclairage et de la plomberie, furent confiés à MM. A. Blondin & Cie. Enfin, monsieur O. Bernard, également de Saint-Hyacinthe, se chargea de la maçonnerie.

Tous ces travaux se poursuivirent activement puisque, dès le  30 octobre, l’on achevait de poser la toiture et que les ouvriers pouvaient s’installer à l’intérieur pour y travailler durant l’hiver. A la fin de novembre, l’on procéda à la mise en place d’une immense corniche en tôle galvanisée qui mesurait bien près de quatre pieds de hauteur.  A l’intérieur, on achevait les divisions et l’on posait les lattes avec célérité.

En mars 1897, lors de l’assemblée annuelle de la Compagnie du Grand Hôtel, où les mêmes directeurs furent réélus, l’on annonça que les aménagements seraient bientôt terminés et que tout serait prêt pour l’ouverture de l’établissement, fixée au 1er mai prochain.

Le Grand Hôtel ouvrit en effet ses portes au public le 1er mai 1897. Plus tard, en février 1899, cet hôtel annonce l’inauguration de « sa nouvelle bar » (sic). Cf. Le Clairon, 2 février 1899. Cependant, peu après, le 30 mars de la même année, messieurs Eusèbe Morin et Alphonse Denis se rendirent propriétaires hôtellerie, ce qui amena la dissolution de la Compagnie eu Grand Hôtel.

Inoccupée pendant quelques années, cette bâtisse sera restaurée en juin 1903 et l’on y ouvrira même une maison de pension, qui sera dirigée par un monsieur W.-A. Lebel. Toutefois, le 30 juillet suivant, monsieur Eusèbe Morin vendit la propriété à monsieur Ovila Perrault, agent du Canadien Pacifique à Saint-Joseph, qui l’acquit pour la somme de 30,000 $, et, en décembre, monsieur J.-D.Gauthier, gérant de l’hôtel Yamaska, loua l’hôtel du monsieur Perrault et prit la direction des deux établissements, jusqu’en mars 1904, alors qu’il abandonna la gérance de l’hôtel Yamaska pour ne se consacrer désormais qu’à celle du Grand Hôtel.

Incidemment, l’on voit dans le Clairon du 7 novembre 1905, que la société Philharmonique loua le soubassement de cet immeuble que son propriétaire, monsieur O. Perrault devait convertir en théâtre.

Vers 1910, le Grand Hôtel n’était pas encore à proprement parler une hôtellerie : les Chevaliers de Colomb y avaient leurs locaux et la compagnie d’assurance Mutuelle du Commerce, fondée en 1907, par monsieur T.-A. Saint-Germain logeait à cet endroit de même que la Société Union Saint-Joseph, qui pendant un certain temps y eut ses bureaux.

Des demoiselles Daigneault y tinrent un restaurant qui avait assez fière allure. Ce restaurant où l’on allait manger de la crème glacée dans mes jeunes années. Était décoré de nombreux palmiers, disposés çà et là, dans de grandes jardinières. Il était situé au rez-de-chaussée, coin Mondor et William (Calixa Lavallée maintenant), presqu’au même endroit où plus tard, l’on ouvrit le « Grill » et, dans les dernières années, la « Cave aux vins ».

Presque tout le reste de l’immeuble était constitué de petits appartements loués à des particuliers.

Les locataires avaient accès aux grandes galeries superposées qu’il y avait à chaque étage et je me souviens de m’y être assis souvent, du temps que le notaire Horace Saint-Germain et sa femme y demeuraient : c’étaient le père et la mère de mon ami d’enfance Jean Saint-Germain.

Aujourd’hui, cet édifice, passé des mains de monsieur Aurèle Gaudet et de son fils Gilles, à celles de monsieur Osias Lemieux, a été reconverti en petits appartements et revient ainsi, sous le nom de Grand Château, à son rôle d’autrefois. Il comporte aussi un restaurant nommé « L’Auvergne » ainsi qu’un bar salon : Le Cochon Rouge ».

Le Grand Hôtel ferma définitivement ses portes le 1er mars 1974 et fut littéralement mis à sac par une bande de jeunes voyous aviné sans que la police ne puisse les empêcher de tout saccager.

Quelle triste fin pour ce sympathique vieil établissement!

Un texte de Camille Madore publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 2 février 1977.

Photos: 
Le Grand Hôtel en 1927.
Collection Centre d'histoire, CH119.

Personnel du Grill du Grand Hôtel, année inconnue.
Collection Centre d'histoire, CH116.