Le bois du Sacré-Cœur était ce terrain qui avait entouré jadis le collège des frères du Sacré-Cœur qui fut malheureusement détruit par un très gros incendie, le 18 janvier 1938. Quelque quarante-et-un étudiants et cinq professeurs religieux y sont décédés, prisonniers des flammes.
Ce bois s'étendait, dans le quartier Bourg-Joli, le long de la rue Laframboise côté est, à partir des environs de la rue Papineau, presque devant le manège militaire actuel, jusqu'à la limite nord des terrains de la rue du Sacré-Cœur. Vers l'est, en profondeur du terrain, il n'y avait à ce moment que des bois et des champs. Le terrain des frères finissait probablement où commençait celui des sœurs de la Présentation, puis suivaient la terre des frères Maristes et le bois du Séminaire qui s'étirait à l'époque jusqu'aux bois des Salines. C'était donc un immense terrain que celui des frères du Sacré-Cœur..
Vers 1945, les religieux occupaient encore le terrain, mais ils demeuraient dans une maison de brique rouge, rue Laframboise, probablement à la limite sud de leur terrain, face au manège. Cette maison avait été, paraît-il, la maison des aumôniers. Les frères enseignaient encore à l'école Mercier aux garçons des classes de 4e, 5e et 6e années. On les voyait souvent se promener dans les sentiers, toujours vêtus de leur longue soutane noire et de leur traîne étroite qui leur pendait jusqu'aux talons. Ils étaient de bons vivants. On les voyait travailler aussi dans leur jardin et leur petit verger, derrière leur maison. Chaque année, ils y faisaient leurs conserves de légumes et de fruits.
Du collège lui-même, il n'y restait à cette époque encore que des ruines, de larges murs de pierres du sous-sol, avec de grands trous qui marquaient les fenêtres. Plantes et arbres avaient déjà commencé à envahir l'espace et autour, la nature cherchait à effacer les traces des parterres. L'emplacement précis du collège se trouvait derrière l'église du Sacré-Cœur et à une centaine de pieds plus au nord. Un long trottoir de ciment restait qui devait le relier à la rue Laframboise. D'immenses amoncellements de briques cassées gisaient un peu plus loin. Un peu à l'écart, il y avait une haute construction de bois qui avait dû être un jeu de balle au mur où étaient alors entassés des restes de fournaises et de choses qui n'allaient plus servir. Mais tout autour de ces ruines, on pouvait retrouver ça et là, sur ce grand terrain, des lieux privilégiés qui avaient marqué la vie active du collège.
Le terrain lui-même était planté de grands arbres de toutes sortes, ormes, chênes, pins, érables et de magnifiques buissons un peu partout. De nombreux chemins, des plus larges, bordés d'érables aux plus petits sentiers discrets favorisaient les promeneurs. En bordure de ces chemins et sentiers, on pouvait découvrir plusieurs souvenirs. Les deux plus beaux chemins conduisaient les promeneurs jusqu'au petit cimetière aménagé après le feu, au fond du terrain, et qui a accueilli les corps des enfants et des enseignants. On y trouvait un gros monument funéraire en pierre blanche, surmonté d'une croix et d'une grande statue du Sacré-Cœur, où étaient inscrits les noms de toutes ces personnes décédées, le tout entouré d'une magnifique haie de cèdres. Ce monument, à la vente des terrains, a été transporté, au cimetière de la Cathédrale, et les corps des enfants, à Granby sur les terrains de la communauté des frères. Plus loin, il y avait une grotte assez grande consacrée à la Sainte Vierge et qui rappelait la grotte de Lourdes. Les statues de Marie et des enfants n'y étaient plus. Cachée au milieu d'un buisson, il y avait aussi une statue de saint Michel avec sa lance, sur un socle de roches. Au détour d'un sentier, on retrouvait les ruines d'un petit oratoire. Il y avait aussi un coin que personne n'osait trop approcher parce qu'il y avait encore des ruches d'abeilles en bonne quantité.
Une belle érablière et une cabane à sucre occupaient la partie nord-est du terrain, accolée au bois des pins. Cette érablière était encore en service à cette époque; les frères y ramassaient l'eau d'érable et la faisaient bouillir.
Cet immense terrain fut, pour tous les jeunes des environs, le plus beau des terrains de jeux. Il y avait des pistes pour les bicyclettes, des cabanes dans les arbres, des câbles suspendus pour des balançoires. Des jeunes y attrapaient des écureuils qu'ils relâchaient par la suite. Les gens de la ville empruntaient régulièrement à pied ou à bicyclette le grand chemin qui traversait le bois en raccourci pour se rendre à la piscine, à l'Aréna, au terrain de l'Exposition, au « Mille » comme on disait pour désigner la piste de course de chevaux.
Au début des années 1940, les Frères du Sacré-Cœur ont fait arpenter et lotir tout le bois et ont commencé à mettre en vente des terrains. Un premier terrain fut réservé à l'église du Sacré-Cœur. C'est ainsi que l'église porte le nom du terrain sur lequel elle est bâtie. La rue du Sacré-Cœur fut aussi la première rue ouverte en 1949, à partir de la rue Laframboise jusqu'à la rue Pratte. En peu d'années, le grand bois du Sacré-Cœur disparut complètement du paysage maskoutain, ne laissant ici et là que quelques arbres magnifiques qui, sans aucun doute, se souviennent encore des bavardages des élèves du collège du Sacré-Cœur.
Photo
Vue du collège Sacré-Cœur et du terrain. On voit bien le bois situé à l'arrière du collège. Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH366 Fonds Jacques Fiset.
Ce texte de Gilles Chagnon a été publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 15 novembre 2000.