Par Paul Foisy, membre associé à la Chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs et des divertissements.
Le 19 avril 1940 est une grande date dans l'histoire sportive québécoise. En effet, il y a plusieurs décennies Gérard Côté remportait sa première victoire au marathon de Boston en inscrivant un temps record de 2 heures 28 minutes et 28 secondes. En franchissant le fil d'arrivée en première position, il confirmait alors qu'il avait sa place parmi les grands athlètes internationaux.
Pour un coureur de longue distance, la conquête du marathon de Boston constitue un haut fait d'armes, car cette compétition est la plus prestigieuse d'Amérique et elle permet de faire sa marque sur le plan national et international.
Le marathon de Boston
Le marathon de Boston est la plus ancienne épreuve de course sur route au monde. Depuis1897, cette compétition est organisée chaque année par le Boston Athletic Association (B.A.A.) et elle se déroule traditionnellement le 19 avril. Cependant, depuis 1960, elle est présentée le 3e lundi du mois d'avril. Cette journée du 19 avril est spéciale pour nos voisins du sud qui commémorent le « Patriots' Day ». C'est un jour de réjouissance, où les Américains célèbrent les batailles de Lexington et de Concord qui marquent le début le la révolution américaine de 1775.
Le Boston Athletic Association est un club social et sportif fondé en 1887 par des hommes d'affaires bostonnais. En 1896, cinq membres du B.A.A. font partie de l'équipe américaine qui se rend à Athènes, où se tiennent les premiers Jeux olympiques modernes. Parmi les épreuves d'athlétisme, on organise une course de fond que l'on nomme marathon, rappelant un coureur mythique parcourant les plaines de Marathon jusqu'à Athènes. Le coureur franchit la distance afin d'annoncer la victoire des Grecs sur les Perses en l'an 490 av. J.-C. En bout de course, une fois sa mission accomplie, le messager meurt exténué.
Les membres du B.A.A. reviennent en Amérique avec l'intention d'organiser une épreuve de fond similaire à celle tenue lors des Jeux olympiques d'Athènes. Ils choisissent la date du 19 avril, car ils font un parallèle entre le sacrifice du coureur grec et le « Patriots' Day ». Ainsi, le 19 avril 1897, quinze concurrents prennent part au premier marathon de Boston. Les temps ont bien changé, car aujourd'hui, plus de 12000 athlètes participent à cette compétition.
En route vers Boston
Au cours de sa carrière, Gérard Côté participe seize fois au marathon de Boston. Lors de sa première présence en 1936, il termine au 23e rang avec un temps de 2:54.22. L'année suivante, il abaisse son temps de plus de sept minutes et il se classe à la septième place. Lors de cette édition, c'est un montréalais du nom de Walter Young qui croise le fil d'arrivée en première position. En 1938, l'athlète maskoutain termine en huitième position avec un temps de 2:44.01, améliorant encore son temps de quelques minutes. D'année en année, Gérard Côté est de plus en plus fort et ses temps s'améliorent : lors des deux dernières épreuves de sa saison 1938, il se classe en deuxième position à Montréal, lors du championnat provincial, et à Yonkers (N.Y.).
Il poursuit sa progression en 1939 en croisant le fil d'arrivée parmi les dix premiers lors des sept marathons auxquels il participe. En novembre, lors de la dernière compétition qui se déroule à Yonkers, il se classe deuxième pour la quatrième année consécutive.
Au cours de l'hiver 1939-1940, Gérard Côté prend part à différentes courses en raquette pour maintenir sa forme et préparer sa saison estivale.
Il quitte Saint-Hyacinthe le 4 avril pour se rendre à Brighton, dans la banlieue de Boston, où il participe à un marathon handicap de 10 milles. Lors de cette compétition, où le dernier peloton, composé des meilleurs coureurs tels Tarzan Brown, Leslie Pawson, Johnnie Kelley et Hack Zambarelli, s'élance cinq minutes après le signal du départ. Il termine cette épreuve en 25e position, voulant sans doute se ménager pour le « Patriots' Day ».
Par la suite, le Maskoutain se rend chez son cousin « Charley » Goulet qui habite Cumberland R.I. Il s'entraîne alors sur une portion de route où il doit franchir huit collines réparties sur plus de six milles.
C'est le grand jour!
Le matin de la course, Gérard Côté boit une tasse d'eau chaude au lever. Une heure plus tard, il mange un gros « steak ». Selon ses dires, il ne suit aucune diète spéciale avant une compétition. Puis, il quitte Cumberland pour se diriger vers Boston où il arrive en avant-midi.
La marche est haute pour les coureurs de la 44e présentation du marathon de Boston. L'année précédente, Ellison Myers « Tarzan » Brown, un autochtone Narragansett de Westerly R.I., franchit la distance en un temps record de 2 : 28:51.
Sur la ligne de départ du 44e marathon de Boston, plus de 165 compétiteurs attendent le signal. Avant le début de l'épreuve Gérard Côté songe à ses amis maskoutains qui l'encouragent depuis plusieurs années. Il aimerait bien leur offrir une victoire. Il se dit qu'il doit surveiller Don Heinicke de Baltimore.
Peu après le coup de fusil, donné par Walter Brown, le préposé au départ, Côté s'empare de la tête du peloton. Au premier point intermédiaire à Framingham sud, il enregistre un temps record : il est légèrement plus rapide que Brown en 1939. Il est suivi de Johnny Kelley (élu marathonien du XXe siècle par le magazine Runners World), du Canadien Scotty Rankin, de Leslie Pawson (vainqueur à Boston en 1933, 1938 et 1941) et de Don Heinicke.
À Natick, Heinicke est largué et Côté est rejoint par Pawson, Rankin et Kelley. Un peu plus loin, « Tarzan » Brown surgit soudainement et s'empare de la tête. La course se poursuit et à Auburdale, à plus de 17 milles du départ, Kelley occupe la première position suivi de Rankin, de Brown et de Côté, maintenant quatrième.
Plus loin, Brown est victime de crampes à une jambe et il doit ralentir le rythme. Puis c'est le début des collines et les coureurs sont mis à rude épreuve entre le 18e et le 21e mille. En troisième position, Côté observe Kelley et Rankin qui bataillent ferme dans les côtes pour la première position. Cependant, les deux compétiteurs s'épuisent... Le Maskoutain passe à l'attaque en se disant que cette course est la sienne : à Coolidge Corner, un peu avant le 24e mille, il occupe la position de tête. Très fort, il termine l'épreuve avec plus d'un demi-mille d'avance sur Johnny Kelley qui franchit la ligne d'arrivée près de quatre minutes plus tard !
Laissons le vainqueur commenter son exploit dans les pages du Clairon, le 26 avril 1940 : « J'ai réalisé l'ambition de ma vie, je suis satisfait pour ma province, pour ma race, pour moi-même et je suis fier d'avoir répété l'exploit d'un autre Canadien français (Édouard Fabre qui gagna le marathon il y a déjà plusieurs années) ».
En remportant ce 44e marathon de Boston en cette journée de printemps 1940, Gérard Côté trouve enfin la valorisation qui pousse le sportif à se donner à fond et assouvir son désir de vaincre. Enfin sacré champion, parcourant la distance en un temps record, Gérard Côté représente dès lors l'idéal du progrès sportif où l'homme cherche sans cesse à se dépasser. Par ses efforts, il se hisse au plus haut niveau de la pyramide sportive, où il devient le modèle à imiter.
Pour en savoir davantage sur la carrière de cet athlète exceptionnel, je vous suggère sa biographie intitulée Gérard Côté, 192 000 kilomètres au pas de course, disponible au Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe et à la librairie L'Intrigue de Saint-Hyacinthe.
Photo:
En 1933, Gérard Côté mime le pas de course pour les besoins de la photo.
Studio B. J. Hébert, Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe.