Élection du maire Pagé, défaite du maire Bouchard, 1930
Par Luc Cordeau
À Saint-Hyacinthe, lors de l’élection municipale du 14 juillet 1930, le maire sortant, Télesphore-Damien Bouchard (1881-1962), député provincial de Saint-Hyacinthe, en poste à la mairie depuis le 29 octobre 1917, soit depuis près de 13 ans, est défait par Joseph Louis Henri Pagé (1873-1955), médecin. Le journal conservateur, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, sous la plume de son rédacteur, Harry Bernard, appuie le candidat Pagé. Le journal libéral Le Clairon de Saint-Hyacinthe, propriété du maire sortant, appuie, comme de raison, le candidat Bouchard. Il va sans dire, que les deux journaux affichent leur couleur politique avec vigueur.
Les critiques sont nombreuses envers le maire Bouchard : en poste depuis trop longtemps ; dépenses exagérés des fonds publics en cette période de crise économique ; le développement de Saint-Hyacinthe se fait surtout dans le secteur Bourg-Joli (nouvelles usines, nouvelles rues, construction de la piscine, etc), où la majorité des terrains lui appartiennent ; Porte des Anciens maires érigée près de sa résidence ; contrats de la Ville pour impressions sont presque tous donnés à l’imprimerie Yamaska, propriété du maire ; manipulation des chiffres aux finances ; majorité des contrats importants donnés sans soumission ; hausse de la taxe foncière ; montant préférentiel de la taxe d’eau pour la municipalité de La Providence ; les profits de l’aqueduc municipal ne servent pas à diminuer la taxe d’eau ; service des vidanges inadéquat ; mauvais règlement de la circulation, etc.
Journal Le Courrier
Vendredi, 20 juin 1930 : «Les élections municipales à St-Hyacinthe cette année, promettent d’être chaudement contestées. Le maire T-D Bouchard sort de charge, de même que cinq échevins, et tout semble croire qu’il sera fait une vive opposition au groupe Bouchard. C’est la première fois depuis de nombreuses années [depuis 1910] qu’on voit autant d’agitation autour de la question municipale. La situation est d’autant plus remarquable que le bloc Bouchard est en proie à une division intestine grave. Dans la population, l’on ne se gêne pas pour dire qu’un changement est devenu désirable dans l’administration des affaires civiques».
Vendredi, 27 juin 1930 : «Du sang nouveau à l’Hôtel-de-Ville, tel est le cri populaire. Le régime s’est encore rendu odieux. Par exemple, la tyrannie inconcevable du règlement de circulation en vigueur chez nous depuis octobre dernier. […] Il y a les dépenses exagérées de fonds publics, nécessitées par la piscine du Parc Laframboise et les bâtisses annexes. En marge de telles dépenses, il y a aussi l’obstination du conseil à ne pas donner aux citoyens de St-Hyacinthe, malgré les réclamations, un service de vidanges proportionné aux besoins d’une population grandissante. En résumé, le peuple est lassé».
Vendredi, 4 juillet 1930 : «M. Bouchard se plait à analyser les actes, privés ou publics, de ses adversaires d’aujourd’hui, ou plutôt des amis de ses adversaires, il ne serait pas mal d’examiner quelques uns de ses actes à lui. Sans doute M. Bouchard a travaillé pour sa ville. Sans doute, il y a fait de belles rues, avec l’argent des contribuables, il a érigé la Porte des Maires, construit une piscine de natation, il y a amené des manufactures, des dispensaires du gouvernement provincial, etc. Mais examinons un peu, puisqu’il est question d’examiner. Donc, M. Bouchard a fait faire des rues, et entre autres artères, le magnifique boulevard Laframboise. Seulement, le boulevard Laframboise est dans le Bourg-Joli et les trois-quarts environ des terrains du Bourg-Joli, appartiennent à un syndicat dont M. Bouchard parait être le gros morceau. Le boulevard Laframboise ne pouvait donc que donner une plus-value aux terrains du Bourg-Joli. M. Bouchard a construit la piscine de natation, mais dans le Bourg-Joli, donc, même raisonnement, plus-value aux terrains du Bourg-Joli. M. Bouchard a travaillé a amené de nouvelles industries à Saint-Hyacinthe, mais il a toujours fait en sorte, chaque fois que la chose s’est trouvé possible, pour que ces industries s’installent dans le Bourg-Joli, sur des terrains appartenant à M. Bouchard, ou au syndicat dont il fait partie, et toujours vendu gros prix. M. Bouchard a construit la Porte des Maires, un magnifique monument, que nous avons loué dans le temps, mais il arrive que cette Porte des Maires est à deux pas de la résidence particulière de M. Bouchard, ce qui ne peut toujours pas diminuer la valeur de la propriété de M. Bouchard. […] Voici donc quelques petits faits que nous avons cru devoir mettre devant le public. Ils établissent assez clairement que M. Bouchard, dans l’administration municipale, sait ordonner les choses pour qu’elles ne nuisent pas à ses intérêts personnels. Partout où nous sommes en mesure d’apercevoir les faits, M. Bouchard semble toujours ne pas s’oublier».
Vendredi, 11 juillet 1930 : «Des milliers de personnes ont écouté, dimanche soir dernier, les orateurs qui font la lutte à T-D Bouchard, maire sortant. À cette époque de crise financière grave, on se plait à l’Hôtel de Ville à faire des dépenses exagérées. On ne rend compte de rien, ou à peu près, à la population. Les chiffres seraient manipulés de telle sorte qu’il n’y a jamais moyen de savoir où nous en sommes dans nos finances». D’autres propos sont publiés dans une rubrique du journal intitulé : Tribune Libre. «Maire T-D Bouchard, ami des ouvriers. – La farce la plus colossale de la présente campagne électorale. – Ce qui m’a le plus indigné, jusqu’à cette date, c’est l’effronterie véritable du maire quand il s’intitule, les larmes plein la voix, le meilleur ami des ouvriers. M. Bouchard, ami des ouvriers, fils du quartier 1 [Christ-Roi], aurait pu, s’il avait été conséquent avec lui-même, mettre tous ses efforts à embellir, améliorer, développer le quartier 1. Seulement, M. Bouchard est propriétaire, avec le Crédit Maskoutain, d’un nombre incalculable de terrains dans le Bois-Joli, et cela paye mieux M. Bouchard de développer le Bourg-Joli que le quartier 1. […] En fait de relèvement des terrains, pour empêcher les inondations de chaque printemps, il n’a rien [fait]. Pourtant, il eût été relativement facile de construire des jetées qui écarteraient, au printemps, les eaux de la rivière, et qui permettraient aux gens du quartier d’habiter leurs logements sans être exposés à déménager devant l’envahissement de la rivière. Cela eût coûté de l’argent, sans doute. Mais on a bien dépensé une cinquantaine de mille piastres pour construire la fameuse piscine. Est-ce que le bien être des résidants du quartier 1 ne pressait pas autant qu’une piscine dans le Bourg-Joli, pour donner de la valeur aux terrains de M. Bouchard et Cie ?».
Journal Le Clairon
Vendredi le 4 juillet 1930 : «Dimanche soir dernier, à la place Dessaulles, une assistance d’environ 5000 personnes applaudissaient vivement les discours éloquents prononcés en faveur du maire Bouchard. La fanfare Philharmonique fit entendre des morceaux de premier choix. St-Hyacinthe est sans contredit la ville la plus propre, la plus coquette, la mieux pavée, la mieux outillée pour combattre l’incendie, la plus hygiénique pour son système de filtration de l’aqueduc que n’importe quelle autre ville d’égale population. Devons-nous nier la part importante prise dans ces différents développements, dans ces améliorations, par le maire Bouchard ? […] Parlons de la Porte des Anciens Maires. Elle a coûté à la ville 12 000$, dont 4 000$ ont été payées par des contributions individuelles. Elle a donc coûté au trésor municipal 8 000$. Le Bain Public [la piscine ronde] ! Voici encore une œuvre d’utilité publique qu’une population qui comprend l’importance de l’hygiène ne manque pas d’apprécier vivement. […] M. Pagé, qui a voté pour la construction du monument de la Porte des Maires, ne veut pas être responsable, mais simplement figurer comme machine à signer à l’Hôtel-de-Ville. Avec lui, le maire ne sera plus la tête du Conseil mais il en sera la queue».
Vendredi le 11 juillet 1930 : «Samedi soir dernier, 1500 personnes entendent Messieurs Bouchard, Augustin, Fontaine et Robert, à la place du Marché à foin. Monsieur Louis Augustin, manufacturier, a fait allusion à une lettre parue dans Le Courrier et signé : un citoyen normal. Il est convaincu que l’auteur de cette lettre est d’une ignorance crasse et éhontée. On m’accuse ainsi que messieurs T-A St-Germain, T-A Fontaine et Mtre Victor Chabot, de parler en faveur du maire Bouchard, non pour l’intérêt de la chose publique mais dans notre intérêt personnel. On dit que je soutiens la candidature du maire Bouchard pour avoir de beaux petits contrats. Si ce citoyen ce prétend normal, l’asile des fous contient des gens encore mieux équilibrés que lui. Quant au «Sang Nouveau» dont parle Le Courrier, M. Pagé qui est médecin, devrait savoir qu’avant d’inoculer du sang à un patient, il faut se demander si c’est un sang meilleur et plus vigoureux que celui du malade auquel on l’infuse. Je n’ai pas beaucoup confiance aux adversaires du maire pour mener à meilleure fin la chose publique. Pendant dix ans, vous avez eu à votre tête un homme des plus qualifiés».
Élection du maire Pagé
Le Courrier, vendredi le 18 juillet 1930 : «Le maire Pagé élu. – Lundi dernier [14 juillet] il l’emporte par une majorité de 40 voix sur le maire T-D Bouchard. La population en avait assez de l’ancien régime». Le Clairon, 18 juillet 1930 : «La fin de la lutte municipale. – M. Bouchard a pris sa défaite en bon perdant. Souhaitons cependant que ceux qui ont réussi à le battre n’aient pas à se plaindre trop tôt de son absence à l’Hôtel de Ville».
Ce texte de Luc Cordeau fut publié en deux parties dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 29 octobre et 5 novembre 2009.
Photos:
Le maire Louis-Henri Pagé.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH478.
Le maire Télesphore-Damien Bouchard.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH478.