Avril 1944: troisième victoire
à Boston pour Gérard Côté

Il y a 75 ans, le 19 avril 1944, Gérard Côté remporte le marathon de Boston pour la troisième fois. Malgré le fait que l’armée canadienne lui interdise de participer à l’épreuve, la Maskoutain profite de quelques jours de congé pour prendre part au marathon. Voici un bref rappel de l’événement.

Le jeu du chat et de la souris
Le matin de la course, 68 coureurs se présentent dans la petite ville d’Hopkinton pour subir l’examen médical et finaliser leurs préparatifs d’avant-course. Comme prévu, Frank DeRice, un restaurateur montréalais qui appuie Gérard Côté, dispose d’une place à bord d’une voiture officielle tout comme Leslie Pawson, gagnant du marathon de Boston à trois reprises. Ayant accroché ses « runnings », Pawson joue le rôle d’entraîneur de Johnny Kelley, le gars du coin, favori de la foule depuis toujours. Les deux complices élaborent un plan de match devant le mener à la victoire. 

L’heure du départ approche et Gérard n’est toujours pas arrivé sur les lieux. En fait, il fulmine à bord de la voiture d’un journaliste pas du tout pressé d’arriver à Hopkinton. Celui-ci doit d’abord mettre de l’essence, puis s’arrête à quelques reprises pour faire monter des amis à bord. Ce petit manège commence à jouer sur les nerfs du coureur. Enfin, il est midi moins douze lorsque Gérard se présente au départ. Il subit son examen médical et à midi, bang!, les coureurs sont partis. 

Au premier point de contrôle, à South Framingham, Gérard occupe la cinquième place à une centaine de mètres du meneur. À Natick, une localité située à seize kilomètres du départ, Gérard s’est faufilé en deuxième place, à deux cents mètres de la tête. Jugeant le rythme trop lent pour lui, il se détache de ses principaux adversaires et adopte sa propre cadence. Enfin, il est à l’aise, ça roule.

En avant, le meneur s’essouffle comme tous ceux qui partent trop rapidement lors de ce genre d’épreuve. Gérard le dépasse et ouvre le bal; les prétendants à la victoire devront lui taper sur l’épaule pour danser avec lui. Les temps de passage étant à cinq minutes du temps record, le rythme général de l’épreuve manque de rapidité. Gérard maintient sa cadence, brulant les kilomètres les uns après les autres.

Il se demande où se situe Johnny Kelley qui habituellement court près de lui. Alors en mesure de l’observer, Gérard développe habituellement une stratégie en fonction de la forme de son adversaire. Mais cette fois-ci, il est seul en avant, car Kelley a adopté une tactique différente. Évitant de se précipiter à l’avant, ce dernier préfère y aller plus doucement au départ. Il demeure tapi derrière, en embuscade.

Après un certain temps, accélérant le rythme, il remonte les adversaires un à un. Quelques kilomètres avant les côtes de Newton, on prévient Gérard que Kelley, désormais à 150 mètres, revient sur lui. Plus il avance, plus Gérard entend la foule encourager le favori local. Kelley approche, il le voit dans la réaction des gens qui se penchent en avant pour regarder derrière lui. Il est à 75 mètres. Les deux coureurs travaillent fort dans les collines. Les descentes sont particulièrement exigeantes pour les quadriceps, ces muscles situés à l’avant des cuisses.  Les jambes s’alourdissent. Malgré la douleur, Kelley avance, se rapproche. L’écart diminue. À Cleveland Circle, la distance séparant les coureurs se réduit à dix mètres. Finalement, il se jette sur sa proie, rejoignant le champion en titre.  

Une telle situation pourrait habituellement détruire un adversaire. Dépassé, celui qui menait l’épreuve ressent alors toute la fatigue accumulée. Son corps veut s’arrêter; son esprit lui dit « à quoi bon résister »! Le point de rupture est atteint. Qui aura raison, le corps ou l’esprit? S’il veut demeurer dans la lutte, le coureur ne doit pas s’écouter et faire face à la musique.   

Gérard résiste à la charge de Kelley. Sa tactique ayant échoué, l’Américain accélère à plusieurs reprises pour briser son adversaire. Rien n’y fait, ce damné french-canadian est toujours là! À ce petit jeu, le favori de la foule s’épuise et commence à s’énerver. Comment se débarrasser du Canadien français? À 700 mètres de l’arrivée, Gérard joue le tout pour le tout. Puisant au fond de lui, il parvient à se forger un écart de cinq mètres sur Kelley. Visiblement vaincu, ce dernier s’accroche, mais demeure incapable de rattraper le Canadien. Pendant ces quelques minutes où se joue la victoire, Gérard regarde derrière lui à plusieurs reprises.

Finalement, il croise le fil d’arrivée, décrochant sa troisième victoire. Signe que l’épreuve fut exténuante, Gérard ne rigole pas comme il en a l’habitude. Kelley, quant à lui, termine treize secondes plus tard, quelques enjambées derrière le vainqueur. Ouch! Après 42 kilomètres et des poussières, treize secondes… Le vaincu s’effondre. C’est la sixième fois qu’il termine deuxième à Boston.   « J'ai versé une larme après […] J'ai vraiment pleuré - de le voir franchir la ligne - je pouvais presque le toucher », affirme un Kelley déçu de cette cruelle défaite.

Gérard Côté, premier Canadien à remporter Boston à trois reprises, commente le duel, ce jeu du chat et de la souris : « Kelley m’a ennuyé considérablement quand il m’a rejoint cinq milles (huit kilomètres) avant la fin, mais j’ai sagement décidé de me tenir près de lui, autant que possible. Si j’avais alors tenté de reprendre les devants, je suis sûr que j’aurais été battu, car cette poussée m’aurait demandé de trop grands efforts pour la fin.» Il affirme également qu’il a sagement attendu Kelley, sachant bien que ce dernier s’exténuerait à le remonter dans les collines de Newton. Kelley croyait rejoindre un meneur fatigué, alors que de son côté Gérard s’attendait à voir surgir un poursuivant exténué. Les deux adversaires, surpris de voir leur opposant résister plus qu’ils ne s’y attendaient, ont dû batailler ferme pour la victoire.  « J’étais en très bonne forme du commencement jusqu’à la fin mais Gerry était trop fort pour moi, c’est tout. Je n’ai pas d’excuses dans la défaite », déclare celui qui termine, pour la troisième fois derrière le Canadien.

À son retour, à bord du train en direction de Montréal, le triple champion regarde à nouveau les télégrammes reçus au cours de son séjour. Malgré l’interdiction de courir sous les couleurs de l’armée, quelques militaires lui font parvenir des messages.  Le major Paul DeSève, un de ceux qui l’accompagnaient en 1943, lui envoie ses félicitations en lui disant qu’il savait qu’il remporterait à nouveau la course. Le lieutenant-colonel Paul Brosseau, commandant du camp de Saint-Jérôme, s’exprime en anglais comme il se doit : « Congratulations all very happy about your succes by winning Boston Marathon. »

Une autre missive s’avère particulièrement intéressante puisqu’elle lui parvint le matin de la course. Il s’agit de souhaits de bonne chance signés du major Ian Eisenhardt, président du Conseil et directeur national de l’Aptitude physique au Canada. Cet organisme fédéral, créé par la Loi sur l’Aptitude physique en 1943, vise à faire la promotion de l’activité auprès de la population. Le simple fait d’envoyer un télégramme au coureur met en lumière toute l’importance accordée à ses succès. Pour ce militaire responsable du programme de promotion de l’activité physique au Canada, une victoire de Côté et la médiatisation qui s’en suit, contribuent, sans aucun doute, à sensibiliser la population canadienne aux bénéfices de l’activité physique. 

Voulant s’assurer que Gérard Côté ne prendra pas part au marathon de Boston, en avril 1945, l’armée décide de l’envoyer en Angleterre à la fin de l’année 1944. En l’absence de Côté, c’est Johnny Kelley qui remporte Boston en 1945. Gérard Côté sera de retour au pays au début de l’année 1946.

Paul Foisy, auteur de la biographie « Gérard Côté, 192 000 kilomètres au pas de course », publiée chez KMag, en 2013. Ce livre est disponible au Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe.

Photos:

Photo 1: Gérarc Côté et Johnny Kelley, lors du marathon de Boston en 1943.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH627 Fonds Gérard Côté.

Photo 2: Victoire de Gérard Côté au marathon de Boston, en 1944.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH627 Fonds Gérard Côté.