Par Paul Foisy
Publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 5 novembre 2003.
Afin de mieux comprendre la réalité sportive d’hier et d’aujourd’hui, il faut percevoir le monde du sport comme un système réagissant aux différentes forces qui le façonnent. Selon les travaux de l’historien Donald Guay, les forces constituantes de la culture sportive sont économiques, sociales, technologiques, culturelles et politiques. Au-delà de la rencontre ou de la joute, le sport reflète la société duquel il est issu.
À Saint-Hyacinthe, la pratique des sports débute au cours des années 1840 avec l’aménagement d’une piste de course de chevaux sur les terrains de Maurice Laframboise. Desservie par le chemin de fer et bien située géographiquement, Saint-Hyacinthe devient un endroit de prédilection pour les organisateurs de courses de chevaux. Au fil des ans, le Rond Laframboise devient un pôle d’attraction important pour différents événements sportifs tels la crosse et le baseball; l’historien Guay considère même Saint-Hyacinthe comme étant le centre de diffusion du baseball au Québec. Au tournant du siècle, les activités sportives sont bien intégrées dans la communauté maskoutaine.
Les premières décennies du XXe siècle sont marquées par une certaine démocratisation des pratiques sportives. La population ouvrière, bénéficiant d’une réduction du temps de travail, dispose d’un peu plus d’argent et de temps libres, pour s’adonner aux différents sports. Mais au-delà des retombées de l’industrialisation et de l’urbanisation du territoire, la présence et les actions de Télesphore-Damien Bouchard, un homme d’affaires, politicien libéral à l’esprit progressiste, constituent un élément déterminant dans la poursuite du développement de la culture sportive maskoutaine.
En acquérant une vaste étendue de terre sur laquelle se trouve le Rond Laframboise en 1911, Bouchard contribue à faire de l’endroit un vaste complexe sportif où l’on retrouve un parc, une piscine, un rond de course, un terrain de baseball et un aréna. Démocratisation des pratiques et municipalisation sont à l’ordre du jour de cette période florissante du sport à Saint-Hyacinthe.
Le citoyen Bouchard
À Saint-Hyacinthe, le 20 décembre 1881, Julie Rivard, l’épouse de Damien Bouchard, donne naissance à un garçon que l’on prénomme Télesphore-Damien. Le père de l’enfant, ouvrier, puis petit commerçant, est le représentant du parti libéral auprès de la population du Marché à foin, le quartier pauvre de la ville. Très rapidement, le jeune Bouchard apprend qu’il doit travailler dur s’il veut se tailler une place au soleil.
Après une formation élémentaire à l’Académie Girouard, il entre au Séminaire de Saint-Hyacinthe en 1894. Encore là, la vie n’est pas facile pour le jeune étudiant : « Né prolétaire, puisque fils d’un ancien quétenne du Marché-à-foin, les petits messieurs du haut de la côte ne m’acceptaient pas volontiers en leur compagnie.» affirme Bouchard dans le premier tome de ses mémoires.
Au cours de ses études, il occupe le poste de rédacteur au sein de différents journaux comme La Tribune de Saint-Hyacinthe, La Patrie et La Presse. En 1903, il se porte acquéreur du journal L’Union. Le 18 mars 1904, il affiche ses couleurs en écrivant : « En politique, L’Union sera l’organe du parti libéral à Saint-Hyacinthe comme elle l’a toujours été. » En 1912, Bouchard change le nom de son journal qui devient alors Le Clairon. Pendant plusieurs décennies, sous l’œil aguerri des lecteurs maskoutains se déroule un véritable affrontement idéologique entre les opinions libérales du Clairon et la pensée nettement plus conservatrice de M. Harry Bernard, éditeur en chef au Courrier de Saint-Hyacinthe.
Avec le temps, Bouchard se forge une solide réputation d’homme d’affaires : en plus de posséder un journal et une imprimerie, il est actionnaire de diverses compagnies qui opèrent, entre autres, un cinéma, une tourbière et un hôtel.
En 1911, il effectue une transaction qui lui permettra de réaliser d’importants bénéfices. À cette époque, Bouchard occupe le poste de greffier de la ville de Saint-Hyacinthe et le groupe de réformateurs dont il fait partie, siège majoritairement à l’hôtel de ville. Dans le but d’abolir le favoritisme, un nouveau rôle d’évaluation des propriétés foncières est confectionné par le bureau des évaluateurs municipaux. Georges-Casimir Dessaulles, dernier héritier des terres seigneuriales et ancien maire de la municipalité, possède, au nord de la voie ferrée, cent quarante arpents de terre meuble. Peu désireux de payer des taxes sur ces terres, Dessaulles manifeste à Bouchard son désir de vendre. Le 13 juin 1911, avec le concours de Me Victor Morin, Bouchard se porte acquéreur du lot évalué à plus de 23 500 $. Les deux acheteurs forment une compagnie, le Crédit Maskoutain, qui se charge de la vente de ces terrains. Ainsi débute l’implantation d’un nouveau quartier, le Bourg-Joli. Tel que Bouchard le confie à un journaliste de La Presse en mai 1957, cette transaction s’inscrit comme étant son premier gros « coup d’argent ».
En 1926, soit quinze ans après son acquisition, l’homme d’affaires cède l’hippodrome à la municipalité de Saint-Hyacinthe pour le comte de la Société d’Agriculture. Dans le prochain article, nous parlerons du politicien Bouchard et de ses premières actions dans le domaine du sport.
Photo:
Télesphore-Damien Bouchard dans la jeune trentaine.
Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe.
Cet article est le premier d'une série de quatre.
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