Perspectives sur les débuts
du commerce à Saint-Hyacinthe

Par Antonio Breton o.d.
Publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 23 février 1977

Le premier commerce fut certainement la vente du bois, le territoire étant très riche en arbres, chênes, érables, bois blanc qui servaient à la construction des bateaux et aussi au chauffage et en plus de la pruche (tsuga du Canada) qui servait à faire le tanin pour tanner le cuir.

Le transport du bois dans les premières années se faisait par voies maritimes. Pour se rendre à Québec, où étaient les acheteurs, nos colons partaient du "Rapide-Plat" pour descendre la rivière Yamaska et continuer sur le fleuve Saint-Laurent. Ce transport se faisait à l'aide de "cageux", dont nous trouvons une description dans des récits de I’abbé Pierre-Athanase Saint-Pierre dont voici les détails: à l’aide de billots dont les bouts étaient attachés avec de fortes "harts" (liens de bois tordus), on faisait une chaîne proportionnée à la grandeur du cercle requis pour y mettre tous les billots vendus. Sur ces billots réunis, on élevait une construction des plus simples pour abriter les "draveurs", ces hommes chargés de conduire les "cageux" à destination.

C’était relativement facile sur les eaux calmes, mais dans les rapides il s’agissait de remettre les billots en marche, leur mouvement ayant été arrêté par des roches. Heureusement, il y avait des draveurs assez habiles pour descendre un rapide sur un billot tout comme un homme sur un fil de fer à vingt-cinq pieds de hauteur.

Dans ce même récit, on nous dit qu'un nommé Louis Arpin navigua de la sorte sur la rivière très rapide de Saint-François, jusqu’à l’âge de 82 ans, et qu'il alla mourir assis au pied d’un arbre tant il aimait le bois.

Les cendres des arbres, principalement de l'érable et du chêne furent aussi une source de revenus, elles servaient à faire de la potasse. Ces cendres provenaient des abatis. En 1823, elles se vendaient 0.12 sous le minot, elles servaient aussi à faire de la lessive, pour laver le linge, les planchers, etc.

Parlant de lavage, il serait dans l'ordre de rappeler que dans les années 1823, les femmes de notre village se rendaient faire leur lavage à la rivière, au bout de la rue Saint-Hyacinthe (rue Hôtel-Dieu) et au canal du père Fitchett, rue Saint-Joseph.

En continuant nos recherches, nous découvrons que le commerce local débuta en 1795. M. Joseph Cartier avait fait construire une maison dans laquelle se trouvaient son logis et son magasin.

La maison était située sur le côté sud de la rue Girouard, face à la rue Raymond: les fondations existent encore aujourd'hui (en 1977), en parfaite condition. Elles ont servi pour la construction de la maison de M. François Jetté, 2311 rue Girouard, en 1937. Dans la maison de Joseph Cartier débuta le commerce des "Raymond Frères" vers 1851, commerce qu’ils transportèrent en face, exactement, au coin des rues Girouard et Raymond. Cet endroit existe encore aujourd’hui, nous pouvons le reconnaître car le haut de la façade, le pignon, et l'œil de bœuf sont encore les mêmes que ceux que l’on voit sur une photo du magasin Raymond & Frères en 1890. Cette maison a été construite en 1876-77.

Ayant sous les yeux un livre de comptes recevables de 1827, on remarque bien facilement que les prix des marchandises ne peuvent se comparer à ceux d’aujourd’hui. Les prix indiqués sont d’après la monnaie du temps, en chelins et deniers, et pour simplifier la lecture, les prix donnés ci-dessous sont donnés en dollars et cents.

Une paire de souliers de bœuf : 60 cents
Un aune d'indienne : 80 cents
Un couteau : 15 cents
Une étrille pour les chevaux : 40 cents
Un fouet anglais : 30 cents
Deux aiguilles à coudre : 02 cents
6 minots de blé 1,60 dollar.
Un demiard de vinaigre : 13 cents
Une pinte de rhum : 34 cents
Une douzaine d'œufs : 60 cents
4 livres de cassonade : 40 cents

Au coin des rues Mondor, côté nord-est, et Saint-Antoine se trouve aussi une très vieille maison (en 1977). Dans un journal de 1886, on trouve une gravure de la maison Swan & James qui possédait de spacieux réfrigérateurs pour la conservation des œufs, elle exportait, principalement à Boston, 400 000 douzaines par an.

Sur une photo parue dans une brochure de 1902, on voit la même maison avec l’enseigne des nouveaux propriétaires Meldrum & Duclos, et il n'y a pas très longtemps, on pouvait distinguer encore un peu cette enseigne sur cette maison dont I ’extérieur est demeuré le même.

Maintenant, un emplacement où il s’est fait bien des genres de commerce, le Marché Centre.

En février 1850, le maire et les conseillers décidaient que la viande, les grains, les pommes, les patates et autres légumes se vendraient au marché centre; le foin et la paille dans la rue Mondor, de la rue Cascades à la rivière; le charbon et le bois de chauffage dans la rue Saint-Antoine, de la rue Saint-Simon à la rivière (vers l’est); les ouvrages en bois qui étaient exposés dans les voitures devaient se vendre sur la rue Saint-François, de la rue Saint-Antoine à la rivière. II est facile de s’imaginer que le parcours de ces rues devait être très attrayant, mais peut-être aussi un peu difficile certains jours.

C’est aussi à ce moment que la première balance publique fut installée au coin de la rue Saint-Simon, face à la Banque Canadienne Nationale sur la rue des Cascades, face à l'édifice Breton.

C'est encore sur la place du Marché Centre que nous retraçons un petit commerce, complètement disparu depuis quelques années. Tout à côté de l’abreuvoir, il y a eu vers les années 1900, M. Saul Cadoret (dont I’épouse fabriquait des bonbons de tout genre, d’une renommée extraordinaire) qui faisait rôtir des pinottes (arachides) dans un cylindre qu’il tournait à l’aide d’une manivelle remplacée dans les dernières années par un petit moteur électrique. Après quelque temps iI ajouta le pop-corn (mais soufflé) arrosé de mélasse.

Tout ce qu’il fallait pour opérer ce petit commerce était compris dans une voiturette qu'il transportait de chez lui le matin, pour la retourner le soir. Et en plus, les soirs ou notre fanfare "La Philharmonique" donnait des concerts au parc Dessaulles, au kiosque ou se trouve maintenant le monument "En mémoire de nos soldats disparus", notre marchand ambulant se faisant aider par de jeunes garçons, à qui il donnait un sac de pinottes remontait sa voiturette que l’on appelait "La Pinottière par la côte de la rue Saint-Denis. Que de couples d'amoureux se sont promenés en écoutant la fanfare et en mangeant des pinottes!

En terminant, je ne puis m’empêcher de souligner quelques changements dans les opérations du commerce. Les heures d’ouverture, jusqu’en 1913, étaient matinales, soit 7 heures le matin jusqu’à 10 ou 11 heures le soir et ce, six jours par semaine.

Dans les années 1850, on vendait les boissons alcooliques, à la roquille, pinte, gallon, en cruche et autrement dans les magasins dit magasin général. Dans un article publié le 3 novembre 1851, on peut lire la nouvelle suivante: "Requête par les marchands pour signer un acte d’entente, afin de vendre les tissus à la verge plutôt qu'à l’aune qui était 1.188 mètre et représentait 46 pouces et ¾.

Photo:
Commerces M. P. Hamel, agent de bière et Meldrum et Duclos, situés dans un immeuble situé à l'angle nord-est des rues Saint-Antoine et Mondor. Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH085 Studio B. J. Hébert, photographe.