Les besognes du printemps (3)

Par Raymond Girouard
Publié dans le Courrier de Saint-Hyacinthe le 17 mai 1989.

Nous continuons nos besognes du début de mai, le « dérenchausage » de la maison et des bâtiments, la cueillette des herbes vivaces du jardin : l’oseille (comme salade aussitôt levée), les herbes fines (persil, sarriette, cerfeuil, ciboulette), les herbes à soupe aussitôt en pousses récoltées et salées dans de petits pots de grès pour « l’ensaisonnement » des fricots des Fêtes.

Un porcelet sevré acheté d’un fermier ou à la criée pour les âmes, encanté par le crieur public à chaque dimanche, sur le « husting » du perron de l’église. Ce porcelet sera dès lors engraissé en vue de la boucherie des Fêtes.

À cette époque, on ne pouvait vivre au jour le jour, il fallait prévoir pour près d’un an à l’avance, soit un temps pour chaque chose et chaque chose en son temps ; il y allait de la survie de tous.
La rampe de bois scié en longueur d’un pied au cours de l’hiver, au godet en bois, devra être cordé dans la remise à bois, afin qu’il soit bien sec pour l’hiver qui vient.

Les châssis-doubles remplacés par les « jalouseries » (persiennes) ; les moustiquaires en place afin de faire aérer la maison encabanée depuis l’automne passé. Le grand ménage du printemps, dit « le grand bordâ », le fameux « minage » du poêle de fonte avec la mine « Sultana ». Le poêle reluisait alors de tous ses feux, mais la ménagère devenait du même coup de race noire.

Préparer les nids des poules couveuses pour remplacer la vingtaine de poules sacrifiées pour l’alimentation, et surtout, surveiller les poules qui allaient couver à la dérobée sous les bâtiments des voisins et qui revenaient en début de juin avec une quinzaine de poussins chacune, ce qui déséquilibrait l’objectif prévu ; et nous voilà d’acquêts pour les grosses chaleurs qui viendront avec le croissant de la lune de juin.

C’est le mois de Marie
C’est le mois le plus beau. Et c’était réellement le plus beau. Chaque soir à l’église paroissiale, le mois de Marie. La chorale des Enfants de Marie faisait les frais de tous les cantiques à la Vierge puisés dans le « 300 cantiques », récitation du chapelet suivi du salut du Saint-Sacrement, et cela tous les soirs du mois de mai, à 19 heures.

La croix du chemin
Les paroissiens de chaque rang de la paroisse entretenaient jalousement la leur. On rivalisait d’adresse. Celle du rang de Sainte-Rose, à Saint-Jude, était la plus élaborée ; M. Édouard Larivière, sur son terrain, entretenait avec art sa croix.
Tous les objets de la passion y étaient fixés : la couronne d’épines, les clous, une lance et même une échelle. C’était la croix la plus ornementée de la région.

À chaque soir de mai, l’institutrice de chaque rang faisait réciter le chapelet aux fermiers pieusement rassemblés devant cette croix. La croix du chemin et le mois de Marie sont maintenant souvenirs à raconter.

Les sifflets et la pêche à la ligne
Chaque enfant de la paroisse rivalisait d’adresse pour se tailler un sifflet dans une branche de saule ou de peuplier. Sculpté au canif dans l’écorce pleine de sève : l’embouchure, l’entaille pour le son (l’ange), et pour faire décoller l’écorce du bois, on frappait légèrement avec le manche du canif en fredonnant cette petite chanson supposée aider : « Siffle-siffle-siffle mon petit sifflet ». C’est à qui aurait eu le plus gros, et ça sifflait, croyez-moi !

Dès le début de mai, alors que la crue des eaux était à se retirer, dans les bassins de la rivière Salvail, d’énormes poissons restaient emprisonnés. Et « l’agrès » de pêche ? Pas compliqué « pantoute » : une « gaule », une ficelle de magasin, un hameçon, à défaut une épingle croche, comme pesée un vieux « tarrot » et un bouchon de liège récupéré du « quatre épaules » vidé durant les Fêtes.

Et nous voilà d’appoint pour la pêche et ça mordait, toutes les espèces de poissons : barbottes, anguilles, crapets, carpes (têteux en jargon populaire), dorés, brochets. Et nous bouffions tout, les « arrêches » avec.

Or, chaque soir après le mois de Marie, nombre de villageois s’installaient sur les berges de la rivière Salvail, en amont du pont des chars, avec leur « gaule » et surveillaient attentivement le bouchon de liège. Tout comme aujourd’hui, on ratait les plus gros poissons.
« J’te mens pas, j’en ai échappé un qui devait peser dans les dix livres »
« J’te cré pas. »
Vous « m’croirez » peut-être pas, mais à chaque printemps, à la crue des eaux, d’énormes brochets remontaient au fin fond de toutes les coulées, se déversant dans la Salvail.

Lorsque l’eau se retirait, ces brochets restaient emprisonnés dans ces bassins d’un pied de profondeur, même plusieurs étaient capturés dans les fossés de ligne.

Avec mon cousin Eddy et mon père, nous les tirions au fusil. Plus encore, certains les capturaient au collet. « Ben, j’te cré pas. Ben... j’te dis. »

Il s’agissait simplement d’ajouter à votre ligne un fil de laiton arrondi en cercle et en noeud coulant, glisser doucement ce cercle autour de votre proie qui dormait au soleil, et d’un coup sec, vous aviez votre souper.
La plus populaire de ces coulées était celle qui se trouve dans les limites de Saint-Barnabé, près de Saint-Jude. Tous les paroissiens de mon âge, de Saint-Jude ou de Saint-Barnabé, vous confirmeront le fait.

J’ignore si cette migration de brochets existe encore, c’est à savoir. Le mois des veaux, le savon, la « mère », les couveuses, à la dérobée, les sifflets de saules et la pêche au collet sont maintenant d’excellents sujet à faire revivre par les vieux « histoèreux ».

Illustration : Edmond-J. Massicotte
Mois de mMarie, Almanach du peuple, 1923.

Cet article est le troisième d'une série de quatre.

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