Par Camille Madore
Publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 6 novembre 1974.
Le deux août 1914, il y a eu 60 ans cette année (en 1974), la guerre éclatait en Europe entre les Empires centraux : l’Allemagne du kaiser Guillaume II et l’Autriche-Hongrie de François-Joseph I, d’une part, et la France de Raymond Poincaré, l’Angleterre de Georges V et la Russie du Tsar Nicolas II, d’autre part.
Je n’avais que sept ans à l’époque et mes souvenirs du début du conflit sont plutôt vagues. Cependant, je me souviens du passage, quasi quotidien, de longs trains de soldats transportés, dans les wagons rouges du Pacifique Canadien, à Valcartier, pour subir un entraînement militaire, ou à Halifax, afin de s’embarquer pour outremer.
Je me rappelle aussi que, durant longtemps, des régiments vinrent, tour à tour, passer quelques semaines à Saint-Hyacinthe où ils campaient sous la tente, dans des champs aux abords de l’Arsenal local. On les faisait défiler à travers les rues de la ville et, parfois, ils marchaient en chantant : It’s a long way to Tipperary, it’s a long way to go ! C’étaient pour la plupart, des Canadiens anglais et nous, les petits gars, nous les suivions en chantant : En avant, marchons, en avant, marchons…. (l’hymne des Zouaves), et plus tard : « La Madelon » ou « Il est parti mon soldat! ». Nous allions aussi voir effectuer le chargement, en wagons, de chevaux réquisitionnés dans les campagnes, par l’armée. Les pauvres bêtes, ensuite expédiées par bateau en Angleterre, servaient dans la cavalerie anglaise.
L’on voyait souvent, dans ces années-là, suspendus dans les fenêtres ou aux portes des maisons, de petits drapeaux blancs, bordés de rouge et portant au milieu une, deux ou trois étoiles bleues, selon que cette maison comptait un, deux ou plus de ses membres sous les drapeaux.
Nous en avions même un, chez nous, en l’honneur d’un oncle, Théo Beauchemin, enrôlé en 1917 dans l’armée américaine, car, depuis le torpillage par les Allemands, du navire américain « Lusitania », les États-Unis ont aussi été entraînés dans le conflit, et leurs troupes, chantant « Over there » et « The Yanks are coming », ne cessent d’affluer en France.
Puis, ce fut l’Armistice du 11 novembre 1918.
Ce jour-là, je jouais devant la maison, il faisait un temps superbe pour la saison, lorsque, soudain, les cloches de toutes les églises et chapelles se mirent à sonner à toute volée, tandis qu’en gare, les locomotives, sifflaient sans arrêt comme d’ailleurs, les sirènes des manufactures : la GUERRE, l’horrible chose, venait de prendre fin.
En hâte, je courus retrouver mes amis. Les enfants décoraient leur bicyclette à l’aide de papier crêpé bleu, blanc et rouge, afin de prendre part à la manifestation organisée pour le soir même au Parc Dessaulles. Elle eut lieu à l’heure dite et l’on vit s’avancer un défilé en tête duquel marchait un vieux Français, monsieur Marthenon. Il avait revêtu son uniforme bleu horizon et brandissait bien haut le drapeau tricolore.
Tous les enfants avaient des mirlitons dans lesquels ils soufflaient frénétiquement.
Au kiosque, plusieurs orateurs prirent la parole. La foule, laissant éclater sa joie, les acclamait à tout rompre, et les manifestations se prolongèrent fort tard dans la nuit.
Ce jour restera à jamais gravé dans la mémoire de ceux qui l’ont vécu, car pour l’univers entier, il marquait la fin de la Guerre de toutes le guerres, et un immense espoir emplissait le cœur des hommes. Ce fut le plus grand jour de joie que l’humanité ait connu depuis bien longtemps. Et pourtant… Et Pourtant, ce n’était hélas qu’un faux espoir!
Photo:
Le Manège militaire sur la rue Laframboise.
Collection Centre d'histoire