Par Albert Rémillard
Publié dans le Courrier de Saint-Hyacinthe le 30 juin 1993.
En cette veille de la Fête du Canada voici quelques extraits du discours prononcé le 4 avril 1893, par l’Honorable Honoré Mercier, au Parc Shomer à Montréal. On se rappellera, à la lecture de ces lignes, que ce discours fut prononcé par Mercier à la demande de L.O. David, lors du lancement de la grande souscription populaire afin d’ériger le Monument National.
« Je suis français par mon origine, par mon éducation et par mes sentiments, je ne suis pas un anglophobe, mais l’Angleterre me laisse assez indifférent, presque froid. J’admets qu’elle nous a fait du bien ; mais je crois qu’elle nous a fait plus de mal que de bien et que si nous avons prospéré, nous surtout, les Canadiens-français, ce n’est pas de sa faute… »
« … Tous comptes tirés, nous ne devons rien à l’Angleterre, nous conservons, cependant, un bon et respectueux souvenir des Anglais qui nous ont montré des sympathies et qui ont fait des déclarations propres à nous encourager à demander notre indépendance, de quelques-uns de nos gouverneurs, qui ont été justes à notre égard et se sont montrés dignes de la haute position qu’ils occupaient… »
« … Quand je dis que nous ne devons rien à l’Angleterre, je parle au point de vue politique, car je suis convaincu que l’union du Haut et du Bas-Canada ainsi que la Confédération, nous ont été imposés dans un but hostile à l’élément français et avec l’espérance de la faire disparaître dans un avenir plus ou moins éloigné. Mais pour être tout à fait juste à l’égard des Anglais, je dois ajouter qu’ils nous ont fourni des capitaux considérables pour exécuter nos grandes entreprises. Il est bien vrai que ces capitaux nous étaient prêtés, et à des taux assez élevés… »
« … En 1841, le Bas-Canada avait une population beaucoup plus nombreuse que celle du Haut et non seulement il n’avait pas de dettes, mais il avait même des économies relativement considérables. L’Angleterre imposa l’union aux Bas-Canadiens, malgré leurs protestations, et ne leur donna qu’un nombre de représentants égal à ceux du Haut-Canada, quand la population de celui-ci était moins considérable, et enfin jeta dans la caisse commune du Canada-Uni les économies du Bas-Canada, comme compensation des cinq ou six millions de dette que le Haut-Canada apportait avec lui dans l’union… »
« … Quant à la Confédération, personne ne peut nier, car c’est de l’histoire, qu’elle nous fut imposée sous la forme fédérative, mais qu’elle n’était en réalité, dans l’esprit de ses auteurs et dans la centralisation qui y domine, que la véritable union législative recommandée par Lord Durham comme propre à faire disparaître notre race… »
« … Au lieu d’être souveraines, comme les États sont souverains dans la république voisine, nos provinces ont cédé la souveraineté qu’elles possédaient avant 1867, pour ne garder que la dépendance vis-à-vis du pouvoir central… »
« … L’organisation politique que nous avons depuis 1867 n’a jamais été dans l’esprit de ses auteurs, qu’une affaire de transition, qu’un moyen de nous préparer à jouer un rôle plus grand et plus indépendant. En groupant les colonies anglaises sous un même gouvernement, les hommes d’État qui ont fait la Confédération avaient pour but définitif de nous rendre assez forts, par le nombre de la population et l’étendue du territoire, pour constituer un peuple digne du respect des autres nations et capable de faire ses conditions quand arriverait le moment suprême et désiré de la séparation, le temps propice pour rompre les liens qui nous unissent à l’Angleterre… »
“… Cette Confédération a-t-elle produit tous les résultats qu’on en espérait ? oui et non. Au point de vue du nombre et de la puissance matérielle, il est indiscutable que l’union de 1867 a fait de nous un peuple assez considérable pour mériter le respect de ses voisins et prendre part au banquet des nations. Le territoire du Canada excède en richesse comme en étendue la plupart des grands pays d’Europe et d’Amérique ; son commerce et son industrie atteignent des proportions qui laissent dans l’ombre le commerce et l’industrie de bien des peuples occupant un rang fort respectable dans l’échelle des nations. Pour ce qui regarde l’ordre matériel, la Confédération nous a donné une telle impulsion que nous en sommes arrivés au point de vue de ne pouvoir continuer, utilement et avantageusement notre œuvre, sans élargir considérablement la sphère de notre action…”
“… L’on voit que tout est à recommencer et le jour n’est pas éloigné, s’il n’est point arrivé, où des conflits interprovinciaux amèneront des difficultés insolubles, si nous ne faisons des changements constitutionnels de premier ordre. des amendements à la constitution fédérale s’imposent donc et deviennent urgents, si l’on veut maintenir la paix et l’harmonie dans ce pays ; et comme ces amendements, nécessités par les circonstances, ne touchent pas seulement à la forme, mais touchent surtout le fond du pacte fédéral, nous devons changer celui-ci d’une manière essentielle et organique…”
“… Jeunes amis qui me faites l’honneur de m’écouter, vous êtes les citoyens de demain, et conséquemment l’espérance de la patrie. C’est à vous surtout que nous, les anciens, confions la tâche commencée et pour laquelle nous avons déjà fait bien des sacrifices. Que votre patriotisme vous inspire le dévouement nécessaire aux grandes luttes qui se préparent ; que ce patriotisme vous dépouille de l’esprit de parti qui étouffe tant de sentiments généreux ; soyez de votre pays avant d’être d’un parti ; soyez Canadiens avant d’être libéraux ou conservateurs ; réparez les défaillances qui nous affligent dans ces temps malheureux, et n’écoutant que la sublime ardeur de la jeunesse, réalisez les aspirations nationales, et aidez-nous à donner à notre pays, sous le soleil des nations, la place qui lui appartient…”
Photo:
L'Honorable Honoré Mercier
Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe