Julie Bruneau-Papineau, épistolière

Par Jean-Noël Dion
Publié dans le Courrier de Saint-Hyacinthe le 18 février 1998

Rares sont les recueils d’échanges épistoliers publiés chez nous. La lettre, cette missive que l’on expédie pour informer, préciser, confirmer, s’épancher ou se plaindre, reste un genre littéraire à découvrir. Madame de Sévigné y excellait. « Les lettres au cher fils » d’Élisabeth Bégon (1696-1755) témoignent de la culture et du contexte social de la Nouvelle-France. La vie y est reconstituée comme dans le journal intime. Quoi de mieux pour saisir une époque, un milieu, une personne, surtout si cette dernière a écrit régulièrement ou abondamment et a vécu un certain nombre d’années séparée de membres proches de sa famille.

La correspondance (1823-1862) de Julie Bruneau-Papineau conservée dans différents dépôts d’archives nous est révélée ici par Renée Blanchet, professeur de français à la retraite. Elle a eu l’heureuse initiative de transcrire ces feuillets, patiemment, attentivement. Pour le grand bénéfice des Maskoutains, Julie Bruneau, épouse de Louis-Joseph Papineau, le grand tribun et patriote québécois, correspond souvent avec ses enfants fréquentant le collège de Saint-Hyacinthe, et sa belle-soeur, Rosalie Papineau, épouse de Jean Dessaulles, seigneur de Maska.
La lettre la plus ancienne retracée date de février 1823. Elle est adressée au mari, à Louis-Joseph, alors en voyage à Londres, délégué avec John Nielson, pour porter des pétitions du Parti canadien contre le projet d’Union entre le Haut-Canada et le Bas-Canada.

La première lettre expédiée à Saint-Hyacinthe a été rédigée en octobre 1835, et est adressée au fils Amédée, alors pensionnaire au collège. La mère s’inquiète des résultats scolaires de ses fils Amédée et Lactance, étudiants. On y apprend les règlements et l’alimentation prescrite. « Tu peux te procurer du fromage du pays de Maska. Si c’est permis, si ton père veut, je puis vous envoyer quelques pommes, mais tu sais qu’il n’approuve pas cela : vous êtes assez bien nourris. » Elle rappelle qu’ils peuvent compter sur leur tante qu’elle remercie « pour toutes les bontés dont elle ne cesse de nous combler. Et suis ses avis et conseils, là en tout, mon cher fils, comme si elle était ta mère. »
Puis en alternance, elle écrit à l’un et à l’autre ou adresse aux deux la même lettre.

On recense quatorze lettres acheminées aux fils alors aux études entre 1835 et 1838. Dix ans plus tard, il sera question de Gustave, aussi étudiant au Séminaire.

Madame Dessaulles aura droit à six lettres entre avril 1837 et novembre 1850. La plus longue est adressée d’Albany, New York, et date du 1er mars 1839, alors que Julie Papineau est partie rejoindre son époux en exil aux États-Unis. Elle raconte son inquiétude après le départ de Louis-Joseph pour la France.
Julie Papineau séjourne au manoir des Dessaulles à Saint-Hyacinthe, au moins à deux reprises, de mars à mai 1838, au ledemain des rébellions, et de septembre 1843 à février 1844.
Madame Blanchet a effectué un travail fort bien documenté puisqu’elle ajoute à la correspondance, soit plus de trois cents lettres, une introduction, un arbre généalogique des Papineau, une chronologie, un index et des annotations en bas de page pour situer les personnes mentionnées. L’image d’une femme de coeur et de tête se dessine à travers le quotidien. Plusieurs détails nous sont livrés relatifs à la famille, à la religion, à la politique, à la façon de se transporter, de se nourrir, de se vêtir. 

Souvent pathétiques, plusieurs passages démontrent une femme dans la tourmente qui a beaucoup de lucidité, des notions sur la politique, l’histoire, le pays sous le joug britannique.

Cet ouvrage offre un vaste champ de recherche et reste un jalon de plus dans l’histoire des femmes. À l’ère du télécopieur et du téléphone, il faut reconnaître que les possibilités d’informer l’autre étaient bien réduites autrefois et que la correspondance à jouer un rôle majeur dans l’histoire des communications. Il est d’ailleurs curieux qu’il existe peu d’ouvrages similaires dans la littérature d’ici qui démontrent ce réseau étendu de contacts et toutes les dimensions humaines et émotives des individus hors de la fiction.

Merci donc à Renée Blanchet pour son important travail qui sera apprécié à n’en pas douter des Maskoutains.

Une femme patriote, correspondance 1823-1862, par Julie Papineau, Texte établi avec introduction et notes par Renée Blanchet, Éditions Septentrion, 1997, 518 p. 
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Illustration:
Couverture du livre de Renée Blanchet. Détail du tableau: Julie Papineau et sa fille Ézilda, peint par Antoine Plamondon, huile sur toile, 1836, Musée des Beaux-Arts du Canada. Carte postale utilisée pour l’exposition présentée au Musée de l’Amérique française, Québec, 1997.