Par Jean-Noël Dion
Publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe, le 1er mai 2006.
Mgr Choquette se rachète un peu de son penchant xénophobe en indiquant dans son histoire les noms de certains étudiants noirs qui ont séjourné à Saint-Hyacinthe.
« Pareillement, écrit-il, le Séminaire se flatte d’avoir toujours vu, durant la dernière moitié du siècle passé, et au début de celui-ci, un collégien noir dans ses murs. L’un, R. Morris, devint avocat à Boston avant l’abolition de l’esclavage ; un autre, R. Uncles, entré en 1883, est prêtre-professeur à Baltimore ; un troisième est médecin à Montréal » (p. 279).
Effectivement, le Séminaire de Saint-Hyacinthe reçoit une dizaine d’étudiants noirs américains dont les noms sont révélés par l’un d’entre eux, Dominique Gaspard, qui a rédigé un article pour le journal Le Collégien, daté d’avril 1910, intitulé Le Séminaire et ses élèves noirs. « Ses maisons d’éducation reçurent les élèves noirs pour les instruire et leur inculquer les vérités de la religion. Le Séminaire de Saint-Hyacinthe, imbu du vrai principe catholique, les accueillit dans ses murs et, à partir de 1860, plusieurs jeunes noirs y sont venus des quatre coins des Etats-Unis. Ce sont : Robert Morris (1860-1861), Boston, Mass. ; Daniel Brooks (1873-1874), Baltimore, Maryland ; Théodore Hagar (1879-1882), Savannah, Georgie ; Charles Randolph Uncles (1883-1888), Baltimore, Md ; Burwell et William Lewis (1893-1894), Newton Center, Mass. ; John Gorham (1902-1903), Cheyenne, Wyoming ; Felix Pye (1903-1905), Baltimore, Md ; Julian Miller (1905-1906), Philadelphie, Pe. ; Dominique Gaspard (1905-1911), Nouvelle-Orléans en Louisiane.
Comme on peut le constater, peu d’entre eux passent plusieurs années à Saint-Hyacinthe, faute de pouvoir s’adapter au climat ou à l’ennui, à moins d’avoir des problèmes de santé tout comme Morris, élève brillant et enjoué qui quitte la classe d’immersion française du collège en avril après quelques mois et qui poursuit plus tard des études philosophiques en Europe avec succès.
L’élève Gaspard raconte quelques anecdotes parfois drolatiques sur chacun de ses condisciples. Par exemple, Hagar, originaire de l’extrême sud américain, n’a jamais vu la neige. Aussi décide-t-il d’insérer quelques flocons dans une enveloppe et d’expédier le tout en Georgie afin de partager son émerveillement avec ses parents. « Dans son affection filiale, écrit le chroniqueur, il ne s’était pas imaginé que le contenu de son enveloppe fondrait dans le parcours ! » Tout de même, quelle charmante innocence !
Charles Randolph Uncles, après la fin de son cours classique en 1885, revêt la soutane, enseigne l’anglais au Séminaire puis retourne à Baltimore. Il devient le premier noir à être ordonné aux États-Unis en 1891. Il occupe une charge à la paroisse St. Francis Xavier Catholic Church, in East Baltimore, Maryland, au cœur de la première communauté afro-américaine à voir le jour aux États-Unis, fondée en 1793 et desservie depuis par les Josephite Fathers auxquels l’abbé Uncles se joindra. Professeur à l’Epiphany Apostolic College de Newburgh, il se consacre « à l’évangélisation de sa race » et prononce aussi des conférences aux gens de couleur « sur le rôle important que joue l’Église dans leur relèvement ». Il est décédé le 23 juillet 1933.
Au moment de ses études à Saint-Hyacinthe, est fondé le Séminaire de Saint-Joseph, à Baltimore, destiné à la formation de prêtres pour œuvrer dans les communautés noires. En lien avec ce projet, Uncles et les prêtres du collège organisent l’impression en français du prospectus de ce Séminaire « pour les missions n***** » qui est imprimé aux Presses à pouvoir du Courrier de Saint-Hyacinthe en 1888. La brochure d’une trentaine de pages donne quelques statistiques sur la présence des gens de couleur aux États-Unis au nombre de 7 millions. Un journal local aura donc permis, de loin, d’améliorer le sort de la communauté noire américaine et « de se consacrer au salut de cette race infortunée ».
Pour sa part, l’élève William Lewis est baptisé au Séminaire. Le père Joseph Laferrière, o.p., alors finissant, lui sert de parrain et madame Laferrière de marraine.
Quant à Felix Pye, il reçoit trois paquets de fruits de son père pour la Noël 1904 et semble ne pas connaître trop de difficultés sauf une mauvaise adaptation au froid durant l’hiver. C’est à la suggestion des pères Saint-Laurent et Uncles qu’il est reçu au collège maskoutain, lui que l’on destine à la prêtrise. Cependant, après deux années, son père Funeral Director and Embalmer le réclame pour qu’il passe sa licence d’embaumeur afin qu’il puisse l’aider et prendre un jour la relève dans l’entreprise funéraire. Déçu, le père Saint-Laurent de l’Epiphany Apostolic College, écrit en août 1905, à l’abbé Choquette, supérieur du Séminaire, pour lui signaler l’envoi de deux autres candidats qui « j’espère vont donner plus de satisfaction que le jeune Pye ».
Photo:
Révérend Charles Randolph Uncles, par Samuel Bourassa, photographe, Saint-Hyacinthe, vers 1888. Collection Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe, CH001.
Notes:
Cet article est la suite d'une série de deux textes intitulée Des Noirs parmi les Blancs que l'on peut trouver en cliquant ici.
Cet article est le premier d'une série de deux.
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